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MATHéMATIQUES 19
PLONGéE AU CœUR
DES NOMBRES premiers
En 2010, deux chercheurs marseillais ont réussi une démonstration sur laquelle butait la communauté mathématique depuis plus de quarante ans. Con rmant, au passage, les étonnantes propriétés des nombres premiers.
On ne se doute pas, en poussant la porte de l’Institut de mathématiques de Marseille, du voyage qui nous attend, à la fois dans le temps et dans l’espace in ni des nombres.
Et pourtant, dès les premiers échanges avec Christian Mauduit et Joël Rivat, auteurs en 2010 d’une démonstration magistrale sur les nombres premiers, on est saisi d’une forme de vertige, de profond questionnement. Que sont au juste ces nombres particuliers, dont on a appris au collège qu’ils étaient supérieurs ou égaux à 2, et divisibles uniquement
par 1 et par eux-mêmes ? Comment, surtout, expliquer leurs étonnantes propriétés mathématiques, les règles puissantes qui gouvernent leur apparition sur la suite in nie
de tous les nombres ?
Mais écoutons, tout d’abord, les auteurs retracer le chemin qui a conduit à leur découverte : « Nous nous sommes intéressés à une conjecture, c’est-à-dire une hypothèse non encore démontrée, émise en 1968 par le mathématicien russe Alexandre Gelfond. D’après lui, la somme des chiffres qui composent un nombre premier avait autant de chances d’être paire (par exemple pour le nombre 11, 1+1 = 2) que impaire (pour le nombre 23, 2+3 = 5). Nous avons démontré que cela était vrai pour l’in nité des nombres premiers ».
Il existe donc, en moyenne, autant de nombres premiers dont la somme des chiffres est paire que de nombres premiers pour lesquels elle est impaire. Pour parvenir à ce résultat important, les deux chercheurs marseillais ont associé des outils mathématiques issus
de la combinatoire, de la théorie des nombres et de l’analyse harmonique. Un mélange de connaissances, d’astuces, d’ingénieux bricolages et d’incessantes véri cations qui
a conduit Christian Mauduit et Joël Rivat, comme ils le racontent joliment, « à trouver ensemble la sortie du labyrinthe complexe dans lequel nous a plongés le problème de Gelfond ». Pour le couple, la démonstration représente la récompense de plusieurs années de calculs acharnés devant le tableau noir et la feuille blanche. Mais pas seulement. C’est aussi l’aboutissement de toute une vie consacrée aux mathématiques, faite de doutes et de joies, d’éclairs et de tunnels, de concepts patiemment mis au point ou acquis auprès de collègues, avant d’être assemblés au l d’une démonstration de cinquante-trois pages saluée par la communauté mathématique.
Ce résultat, magistral, est important à plus d’un titre. En précisant un peu plus les caractéristiques intrinsèques des nombres premiers, il contribue avec d’autres découvertes à construire plus ef cacement des suites de nombres pseudo-aléatoires, avec des applications importantes en simulation numérique et en cryptographie. Mais pour Christian Mauduit, l’essentiel est ailleurs, et touche à l’essence même du savoir et de l’esprit humain : « Le plus satisfaisant est d’avoir fait progresser la connaissance en démontrant l’existence d’une règle mathématique au moyen d’idées et d’outils intellectuels nouveaux. Aucun ordinateur, uniquement capable de réaliser des calculs à
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