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MATHéMATIQUES
grande vitesse sans manier les concepts, n’aurait pu le faire. Même si nous avons eu recours à l’informatique pour véri er certaines de nos intuitions », sourit le chercheur. Au-delà de ce plaisir intrinsèque à la découverte, le résultat obtenu dans le laboratoire
marseillais s’inscrit dans une longue histoire scienti que, toujours vivace. Mauduit et Rivat sont les lointains descendants du mathématicien grec Euclide, qui démontrait, dès 300 avant J.-C. dans son traité intitulé « Éléments », que la suite des nombres premiers est in nie. « Une
« Pour de nombreux chercheurs, ces propriétés très complexes des nombres ont une conséquence majeure sur leur nature : il s’agirait d’objets à part entière, comme les atomes
ou les molécules. »
démonstration à la fois simple, élégante et d’une très grande puissance intellectuelle », admire Christian Mauduit. Depuis les travaux fondateurs du mathématicien grec, les nombres premiers n’ont cessé de passionner des générations de chercheurs, leur soumettant en permanence de nouveaux dé s. Véritables briques élémentaires de l’univers des nombres, puisqu’on aboutit inévitablement à l’un d’eux lorsqu’on divise d’autres nombres entre eux, les premiers
sont dotés de propriétés fascinantes, dessinant une étonnante harmonie, un tout régulier et ordonné... et très complexe
à analyser. Ainsi, les mathématiciens ont démontré,
..au XIXe siècle, que la fréquence d’apparition des nombres premiers diminue lorsque l’on avance dans les nombres. Mais on ne sait pas encore si il existe,
comme on peut l’observer sur de très longues séries, une in nité de nombres premiers p tels que p+2 est aussi un nombre premier (problème des nombres premiers jumeaux).
Plus étonnant encore, les mathématiciens se sont aperçus, sans toujours pouvoir
le démontrer, que les intervalles qui séparent les nombres premiers entre eux répondent également à des règles très précises. Ainsi, il existerait une in nité de paires de nombres premiers séparées par un seul nombre, comme par exemple la paire 3 et 5. Autre régularité, stupé ante, démontrée en 2005 par les chercheurs Green et Tao : il existe une in nité de suites formées de trois ou plus de nombres premiers, séparés entre eux par des intervalles identiques. Quant à la spirale dessinée par le mathématicien Stanislas Ulam en 1963, véritable traduction graphique de l’apparition des nombres premiers sur la suite in nie
des nombres, la géométrie surprenante qu’elle fait apparaître constitue une énigme supplémentaire, et un indice fort des règles puissantes qui régissent les nombres premiers.
Pour de nombreux chercheurs, ces propriétés très complexes des nombres ont une conséquence majeure sur leur nature : il s’agirait d’objets à part entière, comme les atomes ou les molécules. Une af rmation vertigineuse, majoritaire chez les mathématiciens, mais qui ne fait pas l’unanimité... y compris au sein du binôme Mauduit-Rivat. Pour le premier, les nombres sont au contraire une construction mentale de l’esprit qui les étudie. Une différence de vue fondamentale et philosophique sur la nature des nombres, qui n’a pas empêché
les deux compères de percer, ensemble, un de leurs plus épais secrets... Preuve, s’il en était besoin, de l’in nie capacité de coopération entre les humains tendus vers un même but. ◊
Référence Sur un problème de Gelfond : la somme des chiffres des nombres premiers, Annals of Mathematics, mai 2010.
Laboratoire Institut de mathématiques de Marseille (I2M), AMU/Centrale Marseille/ CNRS


































































































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