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Chercheur : Isabelle Manighetti, OCéANOLOGIE-GéOSCIENCES 35 Physicienne du Corps des
Physiciens et Astronomes
des Observatoires - CNAP
dans la ville de l’Aquila, à moins de 100 km de Rome. Face à ces drames, on mesure toute l’importance des recherches et des découvertes réalisées par l’équipe pluridisciplinaire conduite par Isabelle Manighetti. Spécialiste des séismes anciens (ou paléo-séismes)
au laboratoire GEOAZUR installé dans les pinèdes du campus de Sophia-Antipolis, cette chercheuse passionnée s’anime dès qu’elle évoque la croûte terrestre et ses failles :
« Anticiper la date d’occurrence et la magnitude des forts séismes qui nous frapperont dans les prochaines décennies est un enjeu
majeur, indispensable pour dimensionner nos infrastructures et préparer nos sociétés au risque sismique ». Pour y parvenir, Isabelle Manighetti a coordonné, entre 2007 et 2010, les travaux d’une équipe de dix personnes appartenant
à cinq laboratoires1, dans le cadre du projet QUAKonSCARPS soutenu par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR). L’idée directrice ? « L’une des clés de l’anticipation des tremblements
de terre est une bonne connaissance des forts séismes “similaires” qui se sont produits durant
les derniers millénaires, en particulier leur date d’occurrence et leur magnitude, répond la paléosismologue. Cette connaissance nous sert alors de miroir pour anticiper les périodes de retour et la magnitude maximum des grands événements à venir ».
Restait à mettre au point une méthode permettant de caractériser ces séismes anciens, dans un contexte où la connaissance à leur sujet est très restreinte et les outils pour restituer la mémoire sismique font cruellement défaut. De manière inattendue, la réponse à ces questions est venue de la chimie. « Sur certains types de failles, en particulier celles à mouvement vertical, chaque séisme provoque l’exhumation d’une partie de la faille.
De quelques dizaines de centimètres à quelques mètres, cette brusque “poussée” met brutalement la roche, jusqu’alors enfouie, à l’af eurement, et donc au contact de l’air », explique la chercheuse. Or, lorsque ces roches sont de nature calcaire, l’interaction entre les particules très énergétiques du rayonnement cosmique, notamment les neutrons
et les muons (particule élémentaire de charge négative), et les atomes de calcium contenus dans la roche carbonatée, entraîne la production d’un isotope du chlore, le nucléide cosmogénique 36Cl. La concentration de ce dernier augmentant régulièrement depuis le moment où la roche a été exposée au rayonnement cosmique, on peut donc, grâce à sa teneur en 36Cl, dater la survenue d’un séisme important, ayant provoqué l’af eurement d’une portion de la faille. De plus, cette méthode présente l’avantage de retrouver la trace de plusieurs épisodes sismiques en étudiant une seule faille : « En effet, un plan de faille
à l’air libre est constitué d’une succession de portions ayant été exposées aux rayons cosmiques à des moments différents, lors des forts séismes passés
Prélèvement d’échantillons de roche calcaire sur une faille sismogène dans la région italienne des Abruzzes.
successifs ».
Il restait encore aux scienti ques à valider cette approche
novatrice et pluridisciplinaire. Cela a été fait au terme de plusieurs missions de terrain, réalisées sur une dizaine de failles du bassin sismogène de Fuccino, dans le centre de l’Italie (région des
© Philippe Psaïla