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Chercheur : Alain Véron, Chargé de Recherche CNRS
PRéHISTOIRE-ARCHéOLOGIE 43
Créée en 331 avant notre ère par les Grecs et Alexandre le Grand, roi de Macédoine qui lui a donné son nom, la ville d’Alexandrie, en Egypte, constitue le modèle achevé
de cité antique, avec un développement spectaculaire des Ptolémées, sous la dynastie pharaonienne, puis sous l’Empire romain. Plus grande cité du monde grec, elle comptait environ un demi-million d’habitants dès l’Antiquité. Mais a-t-elle pour autant été fondée « ex-nihilo », à partir du néant au bord de la Méditerranée, comme le retient généralement l’histoire ? Dès le premier siècle de notre ère, le géographe grec Strabon en doutait, évoquant l’existence d’une cité pré-hellénistique baptisée Rhakotis. Mais
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« Attestant, si besoin était, de l’extrême précocité des échanges humains, maritimes
et commerciaux qui ont caractérisé, de tous temps, le bassin méditerranéen. »
depuis, aucune preuve archéologique n’était venue étayer cette supposition. En 2006, une découverte majeure est venue élucider cette question, en révélant l’existence d’une activité humaine importante, à Alexandrie, bien avant la période antique. Alain Véron, géo-archéologue au CEREGE (Aix-en-Provence), raconte la suite : « En 1998, dans
le cadre des recherches menées par Jean-Yves Empereur (CEAlex) et Christophe Morhange (AMU), des prélèvements de sédiments ont été réalisés par carottage sous le pavé
de l’actuelle Alexandrie, là où se trouvait le port marin
il y a 2000 ans1. Cela ouvrait la possibilité d’y rechercher
la présence de plomb, métal lourd employé très tôt en métallurgie, et qui est de ce fait un marqueur du développement de l’activité humaine à la période antique ». Son usage dans le cadre de pratiques métallurgiques avérées, attestant de la maîtrise de gestes techniques complexes, remonte en effet à la n du 5e millénaire avant notre ère, soit il y a plus de 6000 ans en Israël. Durant l’Antiquité, ce métal était employé en plomberie, isolation, pour les soudures et la fabrication du verre, des cosmétiques, des monnaies et des ustensile de cuisine, en construction navale, ainsi que comme adjuvant dans le vin. Des millénaires plus tard, on retrouve des traces de sa présence dans les sédiments au fond des ports et bassins antiques, dans lesquels se déversaient les ef uents consécutifs
à la pratique métallurgique et l’usage des métaux. Plus précisément, les géo-archéologues recherchent dans les sédiments anciens la présence des isotopes stables du plomb que sont les plomb de masse 204, 206, 207 et 208. « En effet, ces variations isotopiques nous renseignent sur la nature et l’origine géographique des minerais dont sont issues les traces de plomb accumulé dans les sédiments. De plus, ces empreintes de minerais travaillés par les hommes sont généralement très différentes de celles du plomb présent naturellement dans les sédiments, et qui résultent de l’érosion des roches à la surface des continents », souligne Alain Véron, en charge de cette étude. Pour déterminer les teneurs relatives en
Échantillons sédimentaires préparés pour être analysés
par spectrométrie
de masse.
différents isotopes, le chercheur a employé la technique de la spectrométrie de masse, particulièrement bien maîtrisée au CEREGE. Elle consiste, après préparation chimique, à injecter sous vide les échantillons issus du terrain. Les courants magnétiques et électriques circulant dans la machine induisent alors des trajectoires différentes pour chacun des isotopes, en fonction de leur masse, ce qui permet