Page 205 - Rescapes_du _Gondwana
P. 205

Ainsi, l’analyse de l’ensemble des données sur les tingides acquis durant nos missions nous permet aujourd’hui, en particulier grâce aux comparai- sons entre génomes des di érents spécimens étudiés, de dater leur émergence et celle des principaux groupes qui composent leur famille, et aussi d’avancer une hypothèse quant à leur lieu d’apparition.
Rappelons que l’ensemble du registre fossile des Tingidae regroupe environ cinquante-six spéci- mens. Parmi ces fossiles, plusieurs peuvent être attribués avec certitude à des groupes d’espèces actuelles, ou clades. Ces fossiles proviennent, de plus, de gisements qui ont pu être datés avec une bonne précision. Cela nous permet ainsi de dater les périodes d’apparition des ancêtres communs des groupes concernés, et de fait de l’ensemble des tingides, grâce au principe de l’horloge molé- culaire. On a pu ainsi évaluer la date d’émergence des Tingidae autour de 156 Ma. Quant aux Cantacaderinae, qui constituent un groupe basal parmi les Tingidae, c’est-à-dire un des premiers à avoir « dérivé » ou à s’être séparé des autres, ils seraient vieux de 146 à 148 Ma. En revanche, nous n’avons pas pu dater encore l’apparition des Vianaidinae, une petite sous-famille de tingides représentée par une dizaine d’espèces res- treintes à l’Amérique du Sud. L’information est d’importance, car les Vianaidinae sont à la base des Tingidae, et constituent donc le groupe-frère de toutes les autres espèces de tingides, Cantacaderinae compris. Cela signi e que les Tingidae seraient apparus quelque part du côté de l’Amérique du Sud, il y a 156 Ma. Les Vianaidinae, qui se sont séparés avant les Cantacaderinae, constitueraient donc les pre- miers Tingidae du genre « primitif ». Ensuite, les tingides ont probablement migré et se sont répandus dans l’ensemble du sud du Gondwana.
En e et, à l’époque gondwanienne, la pointe sud de l’Amérique était connectée avec l’Antarctique et l’ensemble australien. Et même si nous ne pos- sédons aucun tingide d’origine antarctique, car aucune espèce n’y vit actuellement du fait des conditions climatiques extrêmes, certaines espèces ont pu y évoluer à des dates relative- ment récentes, sachant que l’Antarctique a connu des climats plutôt cléments. Quant aux Cantacaderinae, groupe « frère-cadet » des Vianaidinae et « aîné » des autres tingides, ils présentent une grande richesse en Amérique du Sud et dans l’ensemble Australie-Nouvelle- Zélande-Nouvelle-Calédonie. Ce sont essentiel- lement des genres possédant deux ou trois espèces, à répartition très restreinte. Cette distri- bution est cohérente avec une origine sud-amé- ricaine et une dispersion est-ouest des tingides. En revanche, on en trouve très peu en Afrique, et il s’agit surtout des espèces du genre Canta- cader, qui est inclus dans la sous-famille des Cantacaderinae, avec les autres genres.
L’information est importante, car les Canta- caderinae sont apparus vers 146-148 Ma, date à laquelle l’Afrique s’était déjà séparée du reste du Gondwana, du moins pour sa partie sud. Les Cantacaderinae n’ont donc pas eu le temps de se disperser en direction de l’Afrique. Les espèces africaines de Cantacader seraient arrivées tardi- vement en Afrique, après une longue dispersion par l’arc est-asiatique depuis la zone australienne. Le genre Cantacader est en e et daté d’environ 50 Ma. L’histoire des tingides se dessine donc peu à peu, grâce à l’apport des nouvelles données acquises lors des missions.
Bien sûr, il nous reste fort à faire pour comprendre comment tous ces groupes se sont mis en place. Si, pour les Tingidae, on appréhende maintenant
UNE AVENTURE SCIENTIFIQUE AU CŒUR DU VIVANT
LES TINGIDAE
203
© SYNOPS ÉDITIONS 2017


































































































   203   204   205   206   207