Page 216 - Rescapes_du _Gondwana
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Il est intéressant de constater que nos trois groupes d’insectes-modèles, tingides, empidides et collemboles, malgré leurs nombreuses di é- rences, montrent des résultats cohérents... D’où l’intérêt de confronter et de comparer di érents modèles.
En e et, les Tingidae et les Empidinae dépendent, pour leur survie et à des degrés divers, des plantes à eurs. Le premier groupe est composé d’insectes piqueurs et suceurs de plantes, et ne dépend pas que des plantes à eurs pour sa sur- vie, le second est composé uniquement de polli- nisateurs, totalement inféodés aux plantes à eurs. Or, les deux groupes se sont diversi és à peu près à la même période que les plantes à eurs, le premier un peu plus tôt que le deuxième.
D’autre part, ces deux familles montrent deux lignées qui se sont dispersées en Afrique par l’hé- misphère nord, les Cantacader et les Empis sud-africains. Le plus surprenant est que l’on retrouve le même phénomène pour un genre de collemboles, Willemia. Sur quarante-six espèces de ce genre décrites dans le monde, une moitié, qui se situe à la base de l’arbre phylogénétique, se distribue dans l’hémisphère nord. L’autre moi- tié, présente dans l’hémisphère sud, est absente des zones situées le plus au sud de l’Amérique du Sud, de l’Afrique, de l’Australie ou de la Nouvelle- Zélande, ce qui réfute l’hypothèse d’une origine gondwanienne pour ce groupe. De plus, deux espèces du groupe vivent dans les régions les plus australes de l’Afrique. Cependant, comme pour les Empis évoqués ci-dessus, ces deux espèces ne sont pas proches parentes des autres espèces de l’hémisphère sud, mais au contraire sont profondément enracinées à la base des Willemia, au sein d’un groupe distribué en Europe.
En n, des groupes di érents de ceux qui font l’ob- jet de nos études montrent une origine gondwa- nienne et ont dû voir leurs ancêtres réaliser des migrations entre l’Amérique du Sud et l’Australie via l’Antarctique. En e et, des « ponts », ou isthmes, reliant les trois continents ont existé pendant des périodes longues jusqu’à l’Eocène, il y a 33,9 Ma. Mieux encore, le climat en Antarctique durant ces périodes était plutôt clément, avec des températures autour de 20 °C en été. Ainsi les marsupiaux et les araignées « salticides » ont pu migrer entre les deux continents. Tout comme les oiseaux nandous qui ont pour groupes frères, du côté australien, les casoars, les émeus et les kiwis. Leurs ancêtres communs, les tinamous, sont originaires d’Amérique. Il y aurait donc eu une ou plusieurs migrations entre l’Amérique du Sud et l’Australie, en empruntant le passage par l’Antarctique.
Ces di érents exemples de déplacements de faunes sur de grandes distances à travers des ponts ou isthmes entre continents, et ces cas de spéciations par vicariance, confortent nos hypo- thèses de travail. Des scénarios biogéogra- phiques d’évolution communs à plusieurs groupes se dessinent, même si des hypothèses di érentes existent. Il faut également ajouter, aux migrations dites « transcontinentales », les modes de dispersions dits par « radeaux » à tra- vers les nouveaux océans en formation suite aux dérives continentales, comme dans le cas des collemboles. Autant de phénomènes qui ne concernent pas seulement la faune, mais aussi des espèces végétales. C’est par exemple le cas des Nothofagus, ou hêtres de l’hémisphère sud, dont la répartition est typiquement gondwa- nienne et qui ont dû traverser des paléo-océans en dérivant au l des ots avant de reprendre racine sur la rive opposée.
LES RESCAPÉS DU GONDWANA
UNE TENTATIVE DE SYNTHÈSE
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