Page 23 - Rescapes_du _Gondwana
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Une di culté pour les scienti ques consiste à déterminer précisément quel scénario biogéo- graphique a conduit, à partir d’espèces qui vivaient à l’époque du Gondwana, aux espèces actuelles. Autrement dit, comment les faunes et les ores ont-elles évolué au cours de la frag- mentation ? Pour répondre, les chercheurs com- parent des espèces vivantes, observées et préle- vées dans des régions issues de la fragmentation originelle du supercontinent, mais aussi avec des espèces fossiles remontant à l’époque gondwa- nienne. Ils établissent ainsi les liens de parenté qui lient ces espèces actuelles et passées, et construisent en conséquence des arbres dits phylogénétiques. Ces derniers, mis en corrélation avec les données disponibles sur les climats et les environnements passés, permettent alors de redessiner le scénario, le plus précis possible, qui a conduit à la biodiversité actuelle.
C’est cette méthode biogéographique et phylo- génétique, nécessitant une enquête naturaliste de terrain rigoureuse, qu’ont décidé d’appliquer, pour percer les secrets du Gondwana et de ses descendants, plusieurs scienti ques du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) de Paris. L’origine du projet remonte au début des années 2000. À l’époque, Cyrille D'Haese et Christophe Daugeron, tous deux entomologistes, débattent de problèmes de phylogénie. Ils seront rejoints plus tard par d’autres spécialistes, Éric Guilbert et Olivier Montreuil (voir pages 24-25). Entre ces scienti ques passionnés par la structure anato- mique des insectes et l’in uence de ces formes sur leurs fonctions et leurs comportements, les questions fusent. Comment se fait-il, par exemple, qu’un groupe de diptères Empidinae (petits moucherons butinant une grande variété de eurs), observé en Patagonie, soit plus proche d’un groupe issu d’Australie que d’un autre groupe patagonien ? Et si cela signi ait que les deux groupes, patagonien et australien, avaient tous les deux un ancêtre commun qui vivait il y a des millions d’années, sous un climat tempéré,
lorsque l’Amérique du Sud, l’Antarctique et l’Aus- tralie étaient encore en contact ? Du temps, jus- tement, où le Gondwana regroupait la Patagonie et l’Australie à travers l’Antarctique ? Par ailleurs, quel rôle attribuer à des îles dites « relais », res- tant émergées entre plaques continentales sépa- rées par des océans en formation, et qui auraient servi de ponts à certaines espèces animales et végétales, dont de nombreux insectes, pour migrer ?
Comment répondre à toutes ces énigmes ? Peu à peu, une certitude se fait jour : les réponses ne peuvent se trouver que sur le terrain, là où vivent aujourd’hui des espèces appartenant à des lignées anciennes, survivantes de ces événe- ments géologiques et climatiques passés. Si l’idée n’est pas neuve, puisqu’elle a même donné naissance à toute la tradition naturaliste héritée des grandes expéditions scienti ques des XVIIIe et XIXe siècles, de Linné à Darwin en passant par Humboldt et tant d’autres, elle est quelque peu tombée en désuétude en cette naissance du XXIe siècle. La « super-science » biologique de laboratoire est en e et en train de s’imposer, avec ses méthodes d’analyse génétique et géno- mique, les supercalculateurs de séquences d’ADN et sa bioinformatique faisant oublier quelque peu les missions de terrain. Or, ces der- nières constituent pourtant le préalable indispen- sable à toute classi cation des espèces, en four- nissant l’irremplaçable matériau vivant qui pourra être analysé, puis comparé aux collections déjà constituées et conservées dans les muséums, a n de percer les secrets de la vie et de son évolution.
L’idée germe alors d’établir un programme de missions destinées à aller recueillir, dans les éco- systèmes issus de la fragmentation du Gondwana, les indices et les preuves permettant de réécrire cette fabuleuse histoire de la terre.
UNE AVENTURE SCIENTIFIQUE AU CŒUR DU VIVANT
LES PHYLOGÉNÉTICIENS À L’ŒUVRE
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