Page 24 - Rescapes_du _Gondwana
P. 24
Avant même que le projet Cafotrop ne soit créé pour organiser les missions suivantes, et que la stratégie des Rescapés du Gondwana ne soit complètement établie, un premier voyage d’étude est organisé en Nouvelle-Calédonie en 2005 (voir page 30). En e et, Éric Guilbert connaît bien la forêt néo-calédonienne pour l’avoir sillonnée à l’occasion de sa thèse de doctorat sur les insectes de la canopée, dans les années 1990. À l’époque, suite aux travaux précurseurs de l’Américain Erwin, les scienti ques prennent conscience de l’intérêt et du potentiel de la cano- pée, cette interface entre l’atmosphère et la forêt, quant à la richesse en espèces qu’elle est sus- ceptible d’abriter. Sur la base d’estimations réali- sées à partir de l’étude d’un seul arbre de la forêt péruvienne, Erwin a ainsi avancé en 1982 le chi re de trente millions d’espèces d’insectes vivant sur terre, dont une bonne partie dans la canopée des hauts arbres tropicaux et subtropicaux. Un chi re qui, même s’il est hasardeux et certainement démesuré comparé au million, environ, d’es- pèces d’insectes déjà décrit à l’époque, donne la mesure de la biodiversité qu’il reste à découvrir. Quelle est vraiment la richesse de la canopée ? Et celle des étages intermédiaires des arbres, ou encore au sol et sous le couvert forestier ? Pour Éric Guilbert, la seule manière de répondre est de retourner sur ce terrain d’étude. Mais pour lui, pas question de reproduire les méthodes qu’il a lui- même appliquées, et qui sont encore en vigueur au début des années 2000 pour étudier la cano- pée, en particulier le « fogging ». Il s’agit, ni plus ni moins, de pulvériser vers la canopée de grandes quantités d’insecticides, puis de recueillir les insectes morts dans de grands tissus tendus au sol ! Outre qu’elle est incomplète, puisque cer- tains individus échappent tout de même au mas- sacre ou ne parviennent pas jusqu’au sol au cours de leur chute, cette méthode ne pouvait évidem- ment satisfaire des scienti ques naturalistes sou- cieux du respect des écosystèmes étudiés, et motivés par leur conservation ! De plus, on n’est pas certain d’associer correctement, suite à un
« fogging », l’insecte récolté et la plante-hôte qui l’hébergeait avant le gazage. Or cette synergie est indispensable pour comprendre le monde vivant dans son intégralité, dans toute la richesse de ses interactions.
Certes, d’autres méthodes moins invasives exis- taient déjà depuis le milieu des années 1990, comme le Radeau des cimes, structure portée par un ballon dirigeable et posée sur la canopée, transportant chercheurs et matériel. Mais là encore, quelques contraintes existent, comme la perturbation induite par « l’atterrissage » de la structure sur le couvert végétal, ou encore le déploiement important en moyens, humains, matériels et nanciers, que demandent de telles expéditions appareillées.
L’envie d’Éric Guilbert est di érente. Il souhaite accéder à la cime des arbres depuis le sol, en exploitant les techniques de la grimpe d’arbre. Héritées des métiers de l’arboriculture et de la taille ornementale, ces méthodes transférées au monde du loisir permettent d’atteindre la cano- pée au moyen de cordes, baudriers et mousque- tons. Et cela de façon parfaitement non invasive ou presque, dans le plus grand respect possible de l’arbre et de la biodiversité animale et végétale qu’il abrite. Pour se former aux techniques « Accro-Branchées », Éric Guilbert n’hésite pas à suivre en 2003 un stage de formation en région parisienne consacrée au sujet... Non sans avoir convaincu sa hiérarchie, avec parfois beaucoup de di culté, de l’intérêt de cette démarche ! Au beau milieu de stagiaires qui se demandent bien ce que fait un entomologiste parmi eux, il fait la connaissance d’un formateur de talent, Lionel Picart. Celui-ci lui apprend les secrets de la grimpe d’arbre, dont l’indispensable maîtrise du vertige des hauteurs, et deviendra un compa- gnon inséparable des missions Cafotrop. En Nouvelle-Calédonie, Éric Guilbert et Lionel Picart sont accompagnés de Cyrille D'Haese, incontour- nable spécialiste des collemboles, qui pourra
LES RESCAPÉS DU GONDWANA
MYSTÉRIEUX INSECTES DE LA CANOPÉE
22
© SYNOPS ÉDITIONS 2017